Mabhh : C’est vrai que durant tout le spectacle, on ressent cette envie d’exprimer à la fois ses troubles face au monde qui nous entoure mais aussi de s’affirmer en tant qu’être humain à l’heure où les discriminations et harcèlements en tous genres redoublent d’intensité, sans même plus se cacher. Je sais qu’au collège, on se retrouve particulièrement vulnérable et sans cesse en questionnement. Comment ont été élaborées les différentes parties du spectacle avec les élèves ? Comment avez-vous réussi ensemble à mêler pédagogie, expression politique et créativité ?
Léa Muller : On pourrait d'abord citer les 5 lieux de création avec les élèves : la salle de musique pour la chorale, le conservatoire pour les danseurs, la salle d'expression pour le club Éloquence, la salle de français pour le théâtre et la salle d'arts plastiques pour la scénographie. Bien qu'il s'agisse d'un travail à l'année, on ne dit pas tout de suite aux élèves qu'ils vont devoir gérer un spectacle de deux heures pour 600 personnes, l'idée n'est pas qu'ils prennent leurs jambes à leur cou ! En début d'année, chaque discipline construit d'abord ses bases pour faire connaissance avec soi, avec le groupe, l'espace, son corps, sa voix, en développant les techniques qui lui sont propres. Arrive le moment de la création pour laquelle nous nous réunissons autour d'une thématique commune, cette année : la femme. Nous commençons généralement par choisir les chants et leur ordre de passage, fil rouge à partir duquel nous construisons tout le spectacle. Il arrive que les élèves proposent des chants; par exemple, une pétition a circulé dans tout le collège cette année pour que la chorale chante une chanson féministe qui faisait polémique à l'époque. C'était amusant de voir les élèves s'emparer du sujet comme ça dans la cour de récréation.
Et puis arrive le moment où chacun entame son propre chantier de création. Les professeurs de chant font un gros travail de partition et d'harmonisation des chants pour les 200 choristes et le groupe de musique Jerry Lease qui nous accompagne. Les danseurs montent avec leur professeurs les chorégraphies qui seront dansées sur les chants de la chorale. Ce n'est pas évident pour eux car ils débitent à partir du chant original et arrive le moment où ils découvrent et travaillent avec la version des choristes, ce qui les déstabilise d'abord. Mais finalement, ce qui est très beau c'est de les entendre dire petit à petit que le morceau est mieux ainsi, de sentir que pour eux tout est plus vivant, que ça les emporte, et les porte, même. Les orateurs du club Éloquence écrivent leurs discours que je suis de près et relis. Ça demande plusieurs semaines d'ajustement car il faut faire attention à la syntaxe, le propos, le lexique employé, le rythme, la construction architecturale du texte etc.
Cette année, ils étaient 7 à participer au concours d'éloquence. Leur sujet est libre, seule contrainte : faire un clin d'œil au thème de la soirée à un moment donné. Puis ils travaillent la mise en voix et en espace avec notre comédienne professionnelle Jeanne Louvard. À la fin du spectacle, le public vote pour celui où celle qu'il a préféré et élit le meilleur orateur ou la meilleure oratrice du collège. Les présentateurs rédigent leurs passages à partir de leurs recherches et travaillent eux aussi à le rendre vivant avec notre comédienne. C'est une sacrée responsabilité pour eux car contrairement à d'autres, ils n'ont pas qu'un passage de 4mn sur scène. Ils doivent animer toute la soirée et être capable de manier le micro. Pour eux, pas de retour en loges, la soirée se passe entièrement sur le plateau ou en coulisse. De leur côté, Les comédiens de 3e écrivent, mettent en scène et scénographient leur pièce. Pour ces derniers, il s'agit d'une écriture de plateau, on présente la pièce d'abord sous son volet thématique à partir duquel les élèves débattent. Les sujets de débat de cette année : Le Nu est-il obscène ? / Pour ou contre la dégradation d'œuvre d'art à des fins militantistes ? Deux questions directement liées à la pièce qui est une réécriture du roman Qui veut la peau de Vénus de Bruno Nassim Aboudrar.
Les élèves ont aussi pratiqué 2 semaines de théâtre avec la Compagnie Les Incomestibles que nous recevions en résidence d'artistes au collège. Ils ont ensuite écrit leur pièce de manière collaborative via l'outil framapad. Chacun a choisi son rôle. Sont ensuite venus le chantier de la mise en scène et l'autoroute des répétitions. Avant le spectacle, la classe s'est produite 6 fois devant des classes du collège. La chorale des écoles et collèges s'est réunie aussi plusieurs fois avec Jerry Lease. On essaie de lier tous ces domaines artistiques et de les faire se rencontrer un maximum, de jouer ensemble pendant le spectacle : la chorale agit comme un vrai chœur durant la pièce de théâtre, elle chante aussi pendant que les comédiens et danseurs performent. Cette année ce fut particulièrement marqué pour deux chants : Queen of the underground de Goat et L'hymne des femme. Deux moments très forts. Mais on peut encore mieux faire ! Nous voudrions une fusion encore plus marquée à l'avenir.