L'été tarde à se terminer en France. N'étant plus sous l'influence de la mode estivale depuis très longtemps, mes voyages ont plutôt lieu entre septembre et octobre. La mode en ce qui me concerne porte plutôt sur les périples en vélo qui ont le vent en poupe. Mais comme à l'accoutumé, ce ne sera pas une aventure sur les belles véloroutes françaises (qui ont visiblement très bonne réputation) mais une traversée du Sud Ouest de l'Angleterre pour rejoindre la côte du Pays de Galles. Un choix étrange je sais. Tout est parti d'un livre que j'ai l'habitude d'ouvrir pour planifier mes prochaines pérégrinations. Une sorte de guide qui répertorie les lieux idéaux en fonction du mois.
Aout est forcément une période compliquée quand on aime sortir des sentiers battus. Où qu'on aille, trouver un lieu de quiétude en pleine nature n'est pas une mince affaire, surtout dans notre vieille Europe. Le Pays de Galles est assez vite ressorti de mes recherches pour deux raisons. Vivant à Rouen, rejoindre la côte anglaise est relativement aisé, et puis j'avais envie de retourner en Grande Bretagne pour l'explorer d'une autre façon et surtout en dehors de Londres. Arrive alors une longue période préparatoire pour équiper mon vélo, une étape bien plus complexe que j'aurais pu l'imaginer, explication. Depuis ma plus tendre enfance, mes vélos ont toujours été des VTT. Ce style de vélo possède généralement un cadre petit avec une selle pouvant être baissée très bas. Ce point est important pour moi, souffrant d'hémiplégie depuis ma naissance, enfourcher un vélo a toujours été un exercice compliqué. Il était donc logique à mon retour en France d'investir à nouveau dans un VTT. Mon choix s'est porté cette fois sur un VTT musculaire en carbone. Le carbone a l'avantage d'être léger et de transmettre plus efficacement l'énergie du pédalage vers les roues. Parfait pour les dénivelés donc, et je le ressens assez vite. En revanche, ce ne sont pas du tout, mais alors pas du tout, des engins adaptés aux longs voyages. Ils ne sont pas confortables et ne disposent que de peu de solutions pour les bagages.
Plus je recherchais des solutions pour équiper mon destrier, plus les choix se réduisaient à peau de chagrin, pour au final me résoudre à un paquet de compromis. Un porte bagages sur la tige de selle, une sacoche de bikepacking sur le guidon, quelques bricoles ici et là, et (chose que je voulais éviter mais qui s'est avéré indispensable) un sac à dos. Vous devez savoir que dans cette configuration, poser le pied à terre a été une véritable gageure tout du long, la selle étant irrémédiablement trop haute pour moi, même avec la tige télescopique. L'enfourcher était encore plus ridicule, au point de devoir poser le vélo à terre, la sacoche à l'arrière m’empêchant de passer la jambe par dessus en condition normale.
Optimisé au maximum et fini d'être totalement équipé à deux jours du départ, il ne restait plus qu'à prendre la route sans aucune préparation. Ce qui va suivre est la retranscription de mon journal de bord avec quelques corrections. Beaucoup de corrections. Toutes les photos ont été réalisées avec mon Fuji X-T4 accompagné du Sigma 18-50mm Contemporary, avec un réglage simulant le film Kodachrome II de 1961.
Marcel était déjà prêt la veille, plus qu'à partir direction la gare de Rouen, je prendrai mon "petit déjeuner" dans le train.
Arrivé à Dieppe, en route vers le ferry qui a visiblement fait l'impasse sur les voyageurs piétons et cyclistes. Même punition pour tout le monde, attendre dans la ligne dédiée entre les véhicules et en plein caniar. Heureusement la mer est très calme, la traversée se passe à merveille. Il fait 28°c en arrivant au port de Newhaven, la ville abrite de très jolies maisons colorées mais aussi une première côte qui me baptise sévèrement. Pédaler en bord de falaise reste un exercice stimulant malgré la circulation et la chaleur. Quelques miles pour arriver au port de Brighton, la traversée se passe sans encombre, les gens profitent des derniers jours de vacances pour lézarder sur la plage et manger des glaces. L'atmosphère générale ne tarde pas à m'étouffer, je ne m'attarde pas, quand bien même le lieu semble très photogénique.
Et puis la nuit commence à tomber. Il faut que je précise qu'il y a un décalage d'une heure en Grande Bretagne par rapport à la France, que nous somme fin aout et que le ferry a accosté à 15h. Pas l'temps d'niaiser comme dirait l'autre, ou je devrai monter ma première tente de nuit.
Avec un sommeil aussi flingué que le mien, les nuits en tente sont toujours compliquées. J'ai osé croire qu'avec 50 kilomètres dans les pédales le sommeil arriverait facilement. Quel idiot. Et ce n'est pas la journée qui va suivre qui va calmer mes aigreurs habituelles.
La pluie toute la journée, le ciel d'un gris impénétrable et l'ingéniosité anglaise à alterner la voie cyclable d'un côté et de l'autre de la route. Quel bonheur de traverser les ronds points et les routes sur-fréquentés quand on peut difficilement poser le pied à terre, et où la priorité piéton semble être aussi évidente que la popularité de Margaret Thatcher dans une ville ouvrière. C'est à ce moment que j'ai commencé à me demander si un voyage à vélo en Angleterre était une bonne idée. Le principal problème étant les routes anglaises peu adaptées à l'utilisation du vélo. Elles sont en grande majorité très étroite et on sent à chaque kilomètre que la voirie a tenté tant bien que mal d'improviser des voies cyclables le long des axes principaux, sans pour autant gêner les (très) nombreux véhicules habitués à être seuls sur le bitume. La course au déplacement vert n'est clairement pas au programme de l'Angleterre.
La campagne anglaise me tend les bras. Avec ses villages trop mignons, ses pelouses taillées au millimètre... Et ses collines incessantes. J'ai encore le souvenir des montées interminables qui ont presque réussi à balancer ma volonté au sèche-linge. Vous savez ? Cette sensation qu'on a dans un parc d'attraction à devoir attendre de longues minutes avant d'arriver au manège ? Pour ensuite profiter de quelques secondes de pur plaisir ? Et je n'étais pas au bout de mes peines, le Pays de Galles a la réputation d'être très vallonné.
Mais ne boudons pas le plaisir d'être enfin au calme sur ces routes peu fréquentées. C'est quand même agréable de contempler les immenses pâturages anglais depuis le sommet d'une colline. D'ailleurs, les quelques anglais que j'ai eu le plaisir de rencontrer se sont montrés vraiment chaleureux et souriants, même si j'ai encore un peu de mal avec l'accent so british. Il rentrera bien dans ma petite tête avant la fin du voyage.
Quatrième jour. Ce fut la journée avec la météo la plus changeante jusqu'à présent mais également la plus agréable. Décalage horaire oblige, la lumière chaude du soleil est venue me réveiller très tôt. Quel bonheur de prendre une douche d'ultraviolet après une nouvelle nuit à gigoter sur mon matelas gonflable.
Très vite, et ça va devenir une évènement récurrent connaissant un peu le pays, les nuages sont arrivés en masse plus rapidement que des écolières à un concert de Justin Bieber. Quand on mentionne les nuages, la pluie devient folle de jalousie et ne tarde pas à montrer le bout de ses gouttelettes fraiches. C'était sans compter sur ma bâche imperméable qui devrait me sauver la mise plus d'une fois pendant ce périple (note personnelle au présent : oui). C'est alors qu'un pub perdu au beau milieu d'un autre charmant village fait son apparition. Il ne m'en fallait pas plus pour décider de faire une halte et prendre un lunch avec une délicieuse salade et une tarte au citron avec sa crème fouettée.
La fin de journée s'est avérée plus sèche et chaude, c'est donc avec une certaine suée que j'arrive à ma destination du soir dans un camping à la ferme dont le propriétaire avait taillé les emplacements directement dans, ce qui fut à l'époque j'imagine, son champ. Toujours pas la moindre bière au programme mais ça ne saurait tarder.
En planifiant mon itinéraire de la journée, j'ai remarqué un pub dont l'arrière cour est un petit terrain de camping, et pile sur ma route en plus. L'occasion était trop bonne, j'allais enfin pouvoir savourer une bonne bière tiède à côté de ma tente en terrasse. La campagne anglaise est décidément un endroit très agréable à parcourir. Toutefois les routes, souvent trop étroites et mal entretenues, ne sont pas très adaptées aux vélos.
L'élément perturbateur du jour fut le vent. Bien froid et parfaitement de face, il ne m'a pas lâché. Heureusement qu'une douce et amère récompense m'attendait une fois arrivé au pub. Et même si je ne suis pas un grand fan des Pale Ale, celle-ci était locale et vraiment pas mauvaise, à température de cave et on tap please ! Dommage par contre que le restaurant soit fermé le dimanche soir et que les sanitaires soient aussi sales que ridiculement petits compte tenu du monde délirant sur le petit terrain. Enfin, mieux vaut affronter ça le soir que le matin au milieu des mômes.
N'ayant mangé que des chips le dernier soir, mon estomac grondait ce matin. J'attendais ce moment avec impatience. Mes affaires étaient déjà emballées, Marcel prêt à prendre la route, c'est l'heure d'un bon vieil English Breakfast. Au menu donc, le traditionnel earl grey avec son nuage de lait et un peu de sucre roux. S'ensuit une belle assiette 100% non végan comprenant saucisses, lard fumé, œufs, beans à la tomate sucrée, champignons et une demi tomate rôtie. Ah et j'oubliais la célèbre brown sauce validée par feu la reine Elizabeth. Ce petit déjeuner typique n'a eu d'égal que la soirée suivante au pub The Red Lion dans le superbe village de Lacock, apparemment célèbre pour avoir accueilli pas mal de tournages (dont Harry Potter). Bière locale, barbecue, concert en terrasse et carrot cake fait maison.
Vous aurez noté que je n'ai pas du tout parlé du trajet de la journée. J'ai de la peine pour Marcel parce que c'est probablement le jour le plus mémorable et que je le relègue au second plan. C'est d'autant plus injuste que mon GPS nous a emmené grimper une colline bien raide via une route de graviers et de pierres sur plusieurs kilomètres. Marcel a beau être un VTT carbone taillé pour la piste et les descentes, je dois bien avouer que j'ai serré les fesses et le guidon pendant de longues minutes. Mais quelle journée !
Je me rapproche de Bristol, ça se sent au trafic beaucoup plus dense que ces derniers jours. Pour le coup, j'arrive à gérer correctement ma fatigue, mes douleurs beaucoup moins et elles ne tardent pas à revenir de plus belle après seulement quelques kilomètres. Comme la journée s'annonce difficile, longue et pluvieuse, je retourne au Red Lion pour gonfler mes batteries avec un breakfast.
En effet, ce mardi n'a pas été le jour le plus facile ni le plus agréable. Entre les camions, les pseudos voies cyclables déglinguées et les fines goutes de pluie en abondance, l'Angleterre s'est montrée sous son plus mauvais jour. Pas de colline aujourd'hui, juste des routes interminables bourrées de feux et de ronds-points. Le stress pointe le bout de son nez sans invitation, je pensais pourtant l'avoir blacklisté. Fort heureusement la pluie décide de prendre une pause syndicale prolongée pour la soirée, le moment propice pour planter ma tente dans ce qui ressemble à un ancien enclos pour les moutons (!).
Demain je traverse le pont pour arriver enfin au Pays de Galles. Une première étape se termine, c'est important pour le moral de visualiser tous les kilomètres parcourus en une semaine. On fait le point sur ses erreurs, sur des choses insignifiantes. On anticipe la suite des événements. Tout ça mélangé forme un cocktail parfait pour alimenter l'insomnie. En attendant, Marcel va passer sa deuxième nuit sous un arbre.
Nouvelle semaine, nouveau pays. C'est en fin de matinée que je traverse le pont et arrive au Pays de Galles. C'est drôle comme traverser un pont apporte son lot de sensations. Chose toute aussi drôle, et à la manière des bretons, les gallois ont conservé leur langue traditionnelle sur leurs panneaux d'affichage. Ce sera finalement le truc le plus dépaysant de cette huitième journée. D'ailleurs, je me rend compte aussi de mon retard car je devais arriver initialement au cours de ma sixième journée...
Première désillusion, effectuer en moyenne 50 kilomètres à vélo n'aura pas été possible dans les conditions britanniques. Entre la circulation, les nombreuses petites routes et ma condition physique, les 40 kilomètres quotidiens auront déjà suffit à me calmer lourdement chaque soir. Qu'importe, c'est une première fois, et comme toute première fois on apprend de ses erreurs et de ses prétentions. Forcément quand on décide de partir à l'aveuglette, il vaut mieux faire l'impasse sur les réservations quand on se trouve dans un territoire aussi peuplé que la Grande Bretagne. Le sentiment de partir à l'aventure est bien là, le revers de la médaille c'est le stress engendré chaque jour pour trouver un endroit où dormir. Malheureusement le bivouac n'est pas autorisé ici, les britanniques ayant la fâcheuse manie de posséder absolument toutes les terres, même sauvages.
Quelques déconvenues en arrivant au Pays de Galles. Aucun camping sur plusieurs dizaines de kilomètres, sauf un. Mais réservé aux membres du Caravaning Club dont l'adhésion n'est possible qu'avec une plaque d'immatriculation. Je vous avais dis que les voyageurs à vélo sont des pestiférés ici ? J'exagère un peu mais je n'ai croisé presque aucun cycliste chargé en bagages comme je le suis. Pas de camping pour cette nuit donc mais un authentique Bed & Breakfast british aussi confortable que kitch, et qui a la bonne idée d'être juste en face d'un pub. C'est toujours dans ces conditions qu'on apprécie le confort d'un lit et d'une salle de bain privée, surtout quand on peut avoir une pinte de bière simplement en traversant la rue.
L'autre avantage c'est aussi de pouvoir passer la nuit au sec. Et vu la pluie qui tombe en ce moment, la journée de demain ne s'annonce pas des plus plaisantes. Au moins, toutes les batteries sont branchées, j'en aurai évidemment besoin.
Comme prévu, le repos dans cette chambre d'hôte fut réparateur, enfin presque. Après l'un des plus généreux petits déjeuners jamais connu, me voilà à affronter de nouveau la grisaille britannique, la pluie et le système de voie cyclable urbain pas du tout pratique.
Seulement 30 kilomètres aujourd'hui. Comme hier, mon corps à besoin de réduire un peu le rythme si je ne veux pas rentrer encore plus cassé que je le suis déjà. Avec une cadence aussi légère j'aurais espéré faire plus de photos et de rencontres, mais très honnêtement j'ai déjà eu fort à faire avec mon GPS capricieux qui m'a fait traverser des routes insoupçonnées. Entre pâturages boueux et ville portuaire désolante, autant dire que la joie n'était pas franchement au rendez-vous, ni l'envie de s'arrêter et d'apprécier le paysage. L'avantage au moins c'est que je ne suis pas fatigué en arrivant au prochain camping, juste beaucoup trop en avance. Heureusement, il y a un village pas loin avec un pub juste à l'entrée, c'est le bon moment pour un fish & chips et une craft beer avant de m'installer pour une nouvelle nuit.
Swansea et sa côte ciselée ne sont plus qu'à deux jours de route, avec une météo qui s'annonce enfin radieuse pour les jours à venir.
Petit retour sur ma nuit précédente au Ty Coch. C'est probablement l'endroit le plus agréable après le Bed & Breakfast d'hier. Les propriétaires Nigel et Maria m'ont offert un accueil on ne peut plus chaleureux sur leur grand terrain qui devait être à l'origine des pâturages pour le bétail. Nigel arbore la même moustache caractéristique de son homologue pilote de Formule 1, mais aussi une forte envie de me parler de Jésus Christ et d'en faire le parallèle avec mon voyage à vélo. Sacré Nigel, tu es adorable mais un petit peu lourd, et tu n'auras pas mes 5 étoiles pour ton magnifique camping. Passons.
Une des choses récurrentes au Pays de Galles c'est la largeur des routes de campagne. Enfin, largeur n'est peut-être pas le bon mot ici car j'ai connu des trottoirs plus larges que ces routes. Pour ajouter un peu de piment à la faible visibilité en virage, et parce que le gallois est visiblement très joueur, des immenses haies hautes de 5 mètres accompagnent les bords des routes. On passe donc de faible visibilité à visibilité nulle, et la curieuse sensation de pédaler dans un tunnel à ciel ouvert. Les beaux paysages gallois étaient là, quelque part, me narguant derrière chaque kilomètre de buissons.
Mais le réconfort en voyage passe aussi par la cuisine, c'est donc au pub que j'ai pu me prélasser et échanger quelques mots français et anglais avec un charmant couple qui m'a raconté ses aventures en France à vélo il y a bien longtemps. Ces moments trop rares à mon goût ont la faculté de booster mon enthousiasme pour le reste de la journée. Cette fois, mon faible kilométrage journalier n'est pas dû à la fatigue mais plutôt aux faibles campings disponibles ce jour là. Je ne profiterai de ce gain d'énergie qu'une dizaine de kilomètres donc, avec toutefois une première crevaison qui n'arrive pas au meilleur moment. Pas grave, je m'y étais préparé.
Onzième jour, 450 kilomètres dans les jambes et Swansea à une demi-journée de ma position. Le dernier week-end estival arrive et il va être difficile de trouver un hébergement en s'y prenant aussi tard, surtout au vu des températures annoncées. Il est temps de faire une pause et de consacrer un peu de temps à la photo dans un coin frais loin des côtes. C'est dans un camping relativement proche que je trouve mon bonheur. Le terrain à la bonne idée d'avoir un bout de forêt, ce qui me donne presque l'impression de bivouaquer en pleine nature. Je dis presque car c'est évidemment un camping populaire auprès des familles un minimum curieuses de ce genre d'expérience. Et qui dit familles dit bruit, beaucoup de bruit, de bonnes grandes gueules ces gallois et aucun goût pour la musique contrairement à leurs voisins. Au moins cette fois, Marcel va rester à l'ombre dans ce petit bout de forêt ombragé pendant les deux prochains jours.
Entre-temps je n'arrive pas à comprendre ce pays. Dans la plus grande tradition britannique, toutes les pelouses et bas-côtés des routes sont tondus avec une précision quasi chirurgicale. Pourtant, ces pelouses sont jonchées d'un nombre hallucinant de détritus en tous genres. Les enfants sont mal élevés et braillent comme leurs parents, et je ne parle pas du cliché des chiens de sac à main absolument insupportables et territoriaux en camping qui vont beugler au moindre mouvement de feuille morte dans leurs 100 m². Vivement la rentrée des classes tiens.
Mince, en me relisant je me rend compte que je passe mon temps à me plaindre de tout. C'est toujours plus facile de se souvenir de ses galères, et pour le coup il y en a eu. Je profite de ce moment de pause pour me remémorer toute la beauté de mon parcours. Les villages pleins de charme, le ciel et la lumière pleins de caractère, cette joie sur les routes qui serpentent entre les collines de la campagne anglaise et ces merveilleux petits déjeuners qui donneraient de l'énergie à un poney malade. Reprenons.
Point de pédalage aujourd'hui, ni même de rangement. Cet avantage de passer deux nuits au même endroit pourrait presque me faire passer pour un sédentaire. Je me lève tout de même tôt, le soleil a vite fait de nous envahir de sa chaleur après s'être planqué plusieurs jours derrière sa barrière de nuages. Voyager léger veut dire peu de vêtements, c'est donc le moment idéal pour une lessive improvisée. La météo est estivale en ce mois de septembre et malgré l'agressivité du soleil, partir en exploration sur cette colline qui fait la fière aux abords du camping n'est pas une mauvaise idée. On va voir si mes jambes sont toujours en forme car le sentier est bien abrupte et accidenté.
L'arrivée au sommet ne s'est pas faite sans douleur mais le panorama est impressionnant. Avec des mots de photographe je dirais que la profondeur de champ est très satisfaisante mais que le voile atmosphérique fait un peu des siennes et le soleil un poil trop haut. Je me fatigue moi-même parfois. Le truc drôle en étant là-haut c'est que j'arrive presque à distinguer mon prochain camping sur la baie opposée, et que je suis bien plus proche de la côte que je l'avais pensé. C'est toujours impressionnant de regarder un endroit au loin et de se dire qu'on y sera très bientôt, juste à la force de son corps. Tout en haut j'ai pu m'abriter du soleil sous l'arbre le plus étrange qu'il m'ait été donné de voir. On aurait dit que la foudre l'avait frappé en plusieurs endroits et qu'il a continué à pousser à l'envers.
Retour au campement. Mes réserves de nourriture s'amenuisent, j'aurai besoin d'un bon petit déjeuner demain matin.
Quelle nuit épouvantable ! Le bureau des plaintes est ouvert. Entre le vent qui prenait un malin plaisir à s'engouffrer dans la forêt et le voisin bourré qui gueulait sur sa femme pendant une bonne partie de la nuit (elle a eu le lit pour elle seule visiblement), le réveil à 8h fut vraiment difficile. Et je m'y connais en réveil difficile. Je me suis enfui aussi vite que possible une fois levé.
La dernière route vers l'ultime camping a été de loin la plus éprouvante physiquement. La côte galloise peut se montrer terriblement pentue et j'ai passé la majeure partie de la journée à rouler sur l'encéphalogramme d'un sportif en activité. J'ai bien mérité ma triple récompense une fois arrivé à destination. Une douche, une bière brune artisanale comme je les aime et une vue vertigineuse sur la plage des Three Cliffs. Mon gentil voisin m'a même pris mon powerbank pour le recharger toute la nuit. C'est aussi aujourd'hui que j'ai appris que ma photo utilisée pour un concours organisé par Le Figaro avait été sélectionnée par leur jury comme grande gagnante ! Quatrième récompense donc ? Un billet d'avion pour retourner au Canada, et par extension à Whitehorse. La journée ne pouvait pas mieux se terminer.
C'est bientôt la fin du voyage. Je profite de ces derniers jours pour me relaxer sur la côte et la plage des Three Cliffs, dont la brise rafraichissante arrive à me faire oublier les 29° à l'ombre. Enfin, quand il y en a car difficile de trouver un endroit frais quand on passe ses journées dehors. Mais quand je vois les températures en France, je suis bien content de m'être enfui au Pays de Galles.
Cela faisait des années que je n'avais pas foulé une vraie plage de sable. Cette sensation presque oubliée de se faire fouetter le visage par les vagues n'a pas son pareil, même pour un amoureux du grand Nord comme moi. La lumière est splendide, j'ai passé toute la journée à me promener le long de la côte et faire des photos. L'endroit est d'autant plus impressionnant grâce à la formation rocheuse qui lui a valu ce nom, une falaise ciselée en trois pointes dont la forme ressemble furieusement aux dents d'un requin. Cette étrange vision a soudainement réveillé ma créativité et je m'en suis donné à cœur joie. Ce fut l'une des rares journées où j'ai vraiment pu profiter de mon Fuji.
J'esquive volontiers ces deux derniers jours qui n'auront été que farniente et chaleur pour me diriger vers le dernier jour de ce voyage. Car oui, n'ayant pas le temps pour effectuer le chemin inverse à vélo, c'est en train que se finira mon périple britannique. Autant crever l'abcès tout de suite, et au risque d'enfoncer encore ma réputation de gros râleur, non cette dernière journée n'a pas été agréable. Il faut dire qu'à l'instar des routes, le transport ferroviaire britannique ne brille pas pour son accès confortable aux cyclistes. En revanche, l'agent au guichet qui s'est occupé de mes voyages a été d'une fulgurante efficacité pour m'obtenir un itinéraire rapide, pas cher, 3 places réservées pour Marcel, et le tout sans passer par Londres malgré mes instructions en anglais approximatives.
N'ayant pas envie de passer une dernière nuit dans l'hôtel miteux aux abords de l’embarcadère du ferry, c'est une nuit blanche au Macdo du coin qui se pointe, fort heureusement ouvert 24h sur 24. Le reste n'est que patience, formalité administrative, attente, bruit et sensation de cuisson une fois revenu sur les terres normandes. C'est avec une dernière ligne droite pour Marcel dans les rues de Rouen que s'achève mon aventure riche en émotion.
Que retenir donc de cette aventure à vélo entre Newhaven et Swansea ? Que l'Angleterre et le Pays de Galles ne sont pas vraiment adaptés à l'itinérance à vélo. Pour en avoir discuté avec une voyageuse qui a fait le tour entier du Royaume-Uni et en passant par l'Irlande, l'Angleterre et le Pays de Galles ne sont pas non plus dans ses préférences, loin de là. Quel est le problème ? Forcément les routes trop bondées et le manque de vraies voies cyclables. L'hébergement en camping ou en auberge de jeunesse vraiment très cher pour les prestations proposées. Surtout que contrairement à ce qu'on peut voir en France, il n'existe pas de tarif préférentiel pour les cyclistes et piétons. En Grande Bretagne, l’Écosse serait visiblement le pays idéal pour une aventure à vélo car ses routes sont très souvent désertes et enfoncées dans les plaines, serpentant autour des montagnes et collines, contrairement au Pays de Galles qui les enjambent. Et ça tombe plutôt bien car l’Écosse est l'une des destinations figurant tout en haut de ma liste. Reste la question de l'hébergement et de la météo bien plus capricieuse que dans le reste du territoire.
Qui sait, peut-être pour une prochaine aventure ?
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